RECIT:
Titi raconte ...
Douze avions étaient prévus
pour cette mission, J'étais dans le coup... Une patrouille de 2
avions, chargée de la liaison radio vec la station radar, évoluerait
vers 6000 pieds au-dessus du dispositif. Le dispositif, 10 avions par
patrouille de 2, volerait à une centaine de pieds au-dessus de
l'eau, en ligne de front.
Pourquoi cette formation ? Pour couvrir le maximum de terrain d'une part
et faire face immédiatement à l'ennemi et surtout pour ne
pas être détecté par leurs radars installés
à bord des avions gros porteurs, évoluant en altitude.
La patrouille haute, servait de relais radio, les communications à
basse altitude étaient très mauvaises. Le décollage
était prévu à la tombée de la nuit, de manière
à effectuer le rassemblement à la lumière du jour.
Le décollage et la mise en place se firent sans problème,
mais dès la prise de cap vers l'est, alors que nous étions
à une dizaine de kilomètres en mer, la patrouille haute
eut des ennuis et rentra au terrain. Aussitôt, une patrouille monta
et la remplaça. Nous évoluions au ras des flots par de lents
virages. Pourquoi cette nuit-là, la mécanique qui nous avait
toujours été fidèle, se manifesta-t-elle ? Un
à un les avions rentrèrent au terrain pour des ennuis divers.
Finalement nous restâmes une patrouille de 3 avions, chacun de nous,
étant par ailleurs, des rescapés de la patrouille initiale.
L'adjudant Penzini (dit Pinceau) qui avait perdu son équipier,
récupéra le lieutenant Giraud qui avait perdu son CP, ainsi
que moi-même.
La nuit était très noire. Nous étions en patrouille
serrée. Le lieutenant Giraud à droite, moi à gauche.
Tous feux éteints, nous réglions notre position sur notre
CP, grâce aux lueurs d'échappements du moteur.
Dans la radio, malgré les ordres reçus, régnait un
indescriptible brouhaha... ? Toutes les patrouilles étant sur le
même channel. A l'époque, nous ne disposions que d'un poste
radio à 4 channels (fréquences). Le silence radio ordonné
par les OPS était un vain mot. Dès l'instant où,
ayant perdu mon CP, je rejoignis Penzini , je n'eus plus aucun souci de
navigation. Je serrais ma patrouille en jetant de temps à autre
un regard à mes instruments de bord.
Nous évoluions ainsi dans le noir le plus complet. A un moment,
j'eus l'impression que nous montions. En effet, l'avion de Penzini devint
plus diffus, nous avions pénétré une couche de stratus
et notre leader passait au-dessus. La couche n'était pas épaisse,
nous nous retrouvâmes rapidement au-dessus. Le temps de jeter un
coup d'oeil aux instruments et à l'extérieur voilà
que Penzini effectuait sur moi un virage si serré que je dégageais,
ayant été surpris par sa manoeuvre brutale. Je redressais
aux instruments. Dès que mon avion fut rétabli, je regardais
à l'extérieur : un spectacle grandiose m'enveloppait,
du rouge, du bleu, du jaune, toutes les couleurs de l'arc-en-ciel y étaient.
Je compris aussitôt. C'était des traçantes qui montaient
vers le ciel. Je virais sec pour m'éloigner de cette zone dangereuse,
et compris aussitôt pourquoi Penzini avait viré aussi brutalement.
Penzini qui leadait la patrouille regardait évidemment l'horizon
et vit les traçantes bien avant nous, équipiers, qui étions
concentrés sur la tenue de notre patrouille, la radio était
si brouillée qu'aucun ordre n'avait pu être donné.
Après avoir tourné un certain temps dans le coin à
regarder ce spectacle nouveau pour moi, je décidais de rentrer
au terrain. Dans la radio, je pus entendre que des pilotes du 3/6, basés
à Lapasset, avaient intercepté des bimoteurs...
La plus grande confusion semblait régner un peu partout. Je vérifiais
instinctivement l'armement de mes mitrailleuses, une mauvaise rencontre
était toujours possible. Je pris le cap plein ouest. Un peu avant
Oran, le stratus s'était dissipé. Je me recalais sur la
côte et rentrais me poser.
J'étais
le dernier des douze avions. Aux OPS, je retrouvais la plupart des pilotes
qui avaient participé à la mission. Penzini m'expliqua alors
les événements.
Nous étions en rase flots lorsque nous rentrâmes dans une
couche de stratus. Penzini, par sécurité, passa au-dessus
de la couche. Le spectacle commença alors. Nous arrivions à
la verticale du convoi, nous n'avions pu nous faire reconnaître,
étant au-dessus de la couche. Détectés par les radars
des navires d'escorte, la DCA tira. Nous avions bien l'IFF, mais par un
concours de circonstances, le convoi était attaqué à
ce moment là par des bombes volantes lancées par des Junker
88 et des Heinkel 111.,
Tout le monde tirait donc. Nous étions arrivés au bon moment.
Hélas de nuit, seuls les avions spécialisés, les
chasseurs de nuit avec radar pouvaient avoir une chance d'interception.
Le lendemain, nous eûmes plus de détails. Les Allemands,
connaissant l'importance du convoi avait monté une grande opération
aux départs des terrains d'Istres et de Perpignan. Les Mosquitos
et les Beaufighters purent intercepter une partie des avions.
Des combats eurent lieu au sud des Baléares. Si on ne connaît
pas les résultats de ces combats côté allemand, chez
nous, 2 avions avaient atterri sur le ventre, un Beaufighter et un Mosquito.
Nous les vîmes le lendemain.
Plusieurs avions allemands purent passer et attaquer le convoi aux moyens
de bombes téléguidées à bonne distance. Un
transport de troupe, où il y avait des troupes françaises,
fut gravement touché. Un avion allemand fut descendu, Farriol,
pilote au 3/6, revendiqua la victoire. On retrouva 48 heures après
un dinghy avec 4 personnes. C'était l'équipage d'un Ju.88
qui confirma avoir été tiré par un chasseur. Ce brave
Marcel avait raison. Aucun de nous d'ailleurs ne le contestait. Mais le
commandement ne voulut jamais lui homologuer cette victoire. Le convoi
avec un peu de casse était passé, mais la formule appelée
"Tentacle" n'avait pas été payante.
Nous, les chasseurs de jour, nous ne pouvions pas opérer de nuit
avec succès. L'insuffisance des moyens radio fut aussi, évidente.
Si pour nous, tout se passa bien, nos camarades du 3/6 furent bien éprouvés
durant cette nuit et, s'ils purent dans le noir accrocher les Allemands,
le bilan ne fut pas brillant. Des avions endommagés à l'atterrissage,
un pilote blessé, un autre touché par la DCA sauta en parachute
et rentra sain et sauf le lendemain. Cette nuit du 1er février
fut fertile en émotion. Le commandement tira des enseignements
de ce genre de mission. Si du point de vue psychologique il put avoir
des effets, le résultat en soit n'était pas spectaculaire.
Nous ne fîmes plus ce genre de mission avec le même déploiement
de force. Nous ratissions parfois avec 4 avions les avants des convois,
mais toujours de jour. La nuit fut réservée aux chasseurs
spécialistes.
CP : chef de patrouille.
OPS : opérations.
IFF : identification friend and foe.
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Penzini et Inguimberti dans le
ciel,
de nuit en P39.Création
H.Penzini
Deux P39 en
vol. Archives
Inguimberti
Image H.Penzini d'après Barbaud
Mission de nuit sur la Méditerranée.
Image Lesueur
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