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l'escadrille nous avions une figure, l'adjudant Dominique PENZINI, "Pinceau",
pour ses amis ; athlète complet, champion de saut à la perche,
du disque et du javelot. Il fut le 2° sauteur à la perche français
derrière Ramadier alors champion de France, avec un saut dépassant
de quelques centimètres les 4 mètres (1938). Pinceau lui
atteignait les 3m80. Après une brillante Bataille de France, 11
victoires officielles, Pinceau eut de graves ennuis de santé alors
que le groupe était stationné à Rabat en 1940. Le
corps médical l'avait condamné à la suite d'une sérieuse
intervention chirurgicale.(A l'escadrille une quête avait été
faite pour le cercueil). Pinceau n'était pas de la race des vaincus.
Après des soins intensifs et de la rééducation, il
soutirera des chirurgiens après son opération les promesses
suivantes : s'il sautait encore correctement à la perche, il pourrait
revoler. 3 mois après sa sortie de l'hôpital, Pinceau était
champion du Maroc de saut à la perche.
Le corps médical admit, au vu les résultats obtenus qu'il
n'y avait aucune raison, de l'interdire de voler et Pinceau reprit sa
place à l'escadrille.
C'est lui qui m'accueillit lorsque j'arrivais au groupe en 1942. Je fis
de nombreux vols avec lui en DC ou en patrouille sur MS.230 ou NAA-57.
C'est lui qui m'inculqua l'amour du métier, de la chasse et de
la voltige où il excellait. Ses briefings étaient des monuments
d'explication, le tout agrémenté de petits dessins sur des
boites d'allumettes ou des paquets de cigarettes. Il arrivait à
nous faire comprendre toutes les subtilités du règlement
de chasse dans ces petits croquis. Je pense qu'il ne fut pas en son temps
étranger à mon affectation au groupe et à la 1ère
escadrille. Le commandement avait à sa disposition un joli choix
de pilotes à l'époque.
Dès le début de notre engagement au Coastal Command, je
fus son équipier. J'effectuais ainsi avec lui ma première
mission de guerre "décollage sur alerte". Nous étions
en alerte en bout de piste à TAFARAOUI, ficelés, dans nos
avions, attendant la fusée rouge.
Je dis "ficelés et brêlés", en fait moi,
je l'étais conformément au règlement mais lui, Pinceau,
était la plupart du temps assis sur le plan, la position alerte
lui étant incompatible. Il est vrai que rester 2 heures attaché,
ficelé sur son parachute, en fait sur le dinghy, n'était
pas confortable.
Pinceau avait
un truc. La fusée rouge tant attendue montait dans le ciel, son
éclatement n'était pas terminé que l'hélice
de Pinceau tournait déjà et que son avion commençait
à rouler. 1 minute 20 après, il était en l'air alors
que nous avions 3 mn pour le faire.
Dès le décollage, je voyais Pinceau se démener dans
son cockpit il avait quelques difficultés à ajuster sa mae-west
sur son parachute. A 3000 pieds, tout était rentré dans
l'ordre. Il nous fut donné comme ordre « cap 360 Angel Twenty
». Je collais à mon CP tout en scrutant le ciel du mieux
que je pouvais. Arrivés à l'altitude ordonnée, le
radar nous demanda de continuer au même cap. Je commençais
à penser que l'alerte était sérieuse et que peut
être la chance nous souriait. Ce qui m'inquiétait un peu,
c'était l'oxygène. Nous avions bien nos masques inhalateurs
sur le visage, mais le commandement, afin de ne pas retarder notre mise
opérationnelle n'avait pas déclaré que nos avions
n'étaient pas équipés en oxygène.
En fait, notre
mission principale se déroulait souvent dans une tranche d'altitude
qui ne demandait pas l'usage de l'inhalateur, donc de l'oxygène.
Pinceau, respectant le silence radio, me fit comprendre par gestes que
lui aussi n'en était pas pourvu, chose que je savais d'ailleurs.
Arrivés vers 22 ou 23 000 pieds, l'organisme de contrôle
Broadshow, nous fit faire demi-tour et retour au terrain, le bogey ayant
été identifié, un avion sans IFF. Notre retour au
terrain s'effectua à grande vitesse, je venais d'effectuer ma première
mission de guerre et dans quelles conditions !
Le truc de Pinceau fut découvert, un jour par le chef, le capitaine
Marin la Meslée. A l'escadrille, on continuait à respecter
les traditions de la Bataille de France, où chaque pilote avait
son avion affecté. L'effectif pilote était légèrement
supérieur à la dotation d'avions. 13 pilotes pour 12 avions,
dont 10 de disponibles en moyenne. Seuls les commandants d'escadrille
et les CP avaient un avion affecté. Équipier puis équipier-
confirmé, nous étions 2 ou 3 à voler sur le même
avion. Cette méthode fut appliquée tant que le rapport pilotes/avions
fut possible. Par la suite, seuls les commandants d'escadrilles et CP
eurent leurs avions. Un jour, l'avion du chef fut en panne. La mécanique
lui proposa celui de Penzini qui était disponible.
Après une installation quelque peu laborieuse, le chef ne put mettre
l'avion en route. Penzini fut convoqué sur-le-champ et l'explication
sur l'aire d'alerte fut chaude. Pinceau eut quelques heures pour effectuer
la remise en état opérationnel normal de sa mécanique.
Le chef n'avait pas apprécié les transformations, malgré
sa démonstration de virtuosité.
Pinceau avait fait enlever la plaque de blindage située derrière
la tête du pilote. Si cela augmentait la visibilité vers
l'arrière, ça diminuait singulièrement la sécurité.
Il avait fait modifier le système de bretelles pilote. Le système
de démarrage était une merveille. Ne voulant pas rester
des heures ficelé sur son siège, Pinceau avait trouvé
une astuce pour démarrer le moteur alors qu'il était hors
de l'avion. Le système était très simple ; une ficelle
et une cale en bois. Dès la prise d'alerte, l'avion était
conditionné, tous les contacts nécessaires étaient
mis sur "ON", sauf le contact batterie. De celui-ci partait
une ficelle qui faisait le tour supérieur de l'arceau pilote et
pendait à l'extérieur de l'avion tout près de lui.
Dès l'alerte,
Pinceau tirait sur la ficelle, le contact batterie se mettait sous tension,
ainsi que tous les instruments y compris le démarreur. Le P-39
était muni d'un démarreur électrique que l'on lançait
grâce à une pédale située sur le plancher,
côté droit du poste de pilotage.
Cette pédale avait deux positions «énergie»
et «engagé». La position « énergie »
consistait à lancer électriquement le démarreur,
la position «engagé» à l'enclencher. Le système
«Penzini » avec sa petite cale en bois, pré-placée,
bloquait la pédale sur « énergie ». De cette
façon, dès le contact batterie, le démarreur était
lancé. Le temps pour Pinceau de sauter dans l'avion, de tirer sur
la ficelle pour dégager la cale et engager le démarreur
lui prenait tout juste 20 secondes.
Il n'a jamais manqué un seul départ.
Il avait d'autres
petites astuces, ses armes étaient réglées pour converger
à 250m, malgré la présence d'un canon de 37 mm. Il
est vrai que celui-ci avait une trajectoire très tendue mais très
courte : 300 m environ, après elle fléchissait très
nettement vers le bas, interdisant ainsi tout tir de loin (sic). Il y
avait aussi un cendrier provenant de quelque wagon de la SNCF.
Et j'en passe...
Tout fut remis en ordre, mais cela ne dura pas. Rapidement Pinceau réinstalla
son système de démarrage. Marin, bon garçon, fit
semblant de ne plus voir, mais c'est surtout la « mécanique
» qui ne rendit plus l'avion de Pinceau disponible.
Tous les pilotes du groupe, en plus de l'indicatif groupe, augmenté
d'un chiffre, suivant notre grade et l'escadrille à laquelle on
appartenait, avaient un indicatif radio personnel. Mon indicatif était
au départ "Berti", vite transformé en "Titi"
qui était mon surnom et qui m'est resté. L'indicatif du
groupe était à cette époque "Gangster".
Pourquoi cette entorse qui datait de la Bataille de France. L'indicatif
groupe suivi d'un chiffre était très impersonnel, il était
employé au niveau opération et ordres, rarement en vol.
En vol, c'était la couleur de patrouille : "Gangsters, jaune,
bleu, vert"... mais pour désigner un pilote, c'était
l'indicatif personnel qui était le plus employé. Dans un
dispositif on savait qu'il y avait Museau (Muselli), Marina (Marin la
Meslée) ou Rebecca (de Fouquières) ; il était difficile
de savoir et de se rappeler l'indicatif chiffré de chacun. En 1939/40,
tous les officiers pilotes avaient une terminaison en "a", les
sous officiers en "o.
D'où PENZINI ( sergent-chef à l'époque ) : nom de
code : PINCEAU !
DC : double commande
CP : chef de patrouille
IFF : identification friend and foe
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