DEUXIEME GUERRE MONDIALE     

L'alerte au Coastal Command selon la méthode Pinceau

GC 1/5 à TAFARAOUI ( Algérie) . En septembre 1943.


PENZINI : pilote, nom de code : PINCEAU
Histoire rapportée par écrit par le pilote Lucien Inguimberti en 1970.

"La « mécanique » transforma le poêle à charbon en un poêle à injection d'essence, car nous n'avions ni bois, ni charbon. La transformation consista en un fût de 200 litres, installé à l'extérieur du bâtiment, une tuyauterie d'essence arrivait à l'intérieur du poêle et alimentait un brûleur. Les mises en route étaient explosives, il fallait allumer le brûleur très rapidement dès l'ouverture du robinet d'essence. Si l'on attendait trop, les vapeurs s'accumulant très vite à l'intérieur, le mélange devenait explosif à souhait. Le poêle constitué de deux demi-cylindres emboîtés l'un sur l'autre, souffrait beaucoup à chaque mise en route. C'était le sous-lieutenant Giraud, le grand spécialiste de l'allumage. Un tel système aujourd'hui paraîtrait dangereux. Il fonctionna très bien durant les mois d'hiver que nous passâmes à TAFARAOUI et de plus il chauffait très bien.
Notre installation était très rustique. En général nous mettions nos effets fourrés, veste et pantalon, sur le lit et nous bordions le tout avec les deux couvertures réglementaires du paquetage. Les jours de grands froids, on mettait toutes nos affaires par-dessus pour avoir plus chaud.. Nous n'avions, à l'époque, ni duvet, ni matelas. C'était très léger. Il y avait une ambiance terrible dans la chambre. Pinceau, le désordre organisé, Giraud qui s'octroyait tout ce qui était sur son lit ou à portée de ses mains, Muselli et moi, les minutieux, Vuillemain, le chef pilote, dans un coin de la chambre surveillait et tranchait tous les différents, Escaffe le play-boy de l'escadrille et Leytier l'homme débrouille. L'équipe était très soudée : 3 anciens et 4 jeunes. J'étais le benjamin de l'escadrille et du groupe.

Penzini en "alerte" au Coastal Command en Algérie

Création image LesueurPenzini©

 

A l'escadrille nous avions une figure, l'adjudant Dominique PENZINI, "Pinceau", pour ses amis ; athlète complet, champion de saut à la perche, du disque et du javelot. Il fut le 2° sauteur à la perche français derrière Ramadier alors champion de France, avec un saut dépassant de quelques centimètres les 4 mètres (1938). Pinceau lui atteignait les 3m80. Après une brillante Bataille de France, 11 victoires officielles, Pinceau eut de graves ennuis de santé alors que le groupe était stationné à Rabat en 1940. Le corps médical l'avait condamné à la suite d'une sérieuse intervention chirurgicale.(A l'escadrille une quête avait été faite pour le cercueil). Pinceau n'était pas de la race des vaincus. Après des soins intensifs et de la rééducation, il soutirera des chirurgiens après son opération les promesses suivantes : s'il sautait encore correctement à la perche, il pourrait revoler. 3 mois après sa sortie de l'hôpital, Pinceau était champion du Maroc de saut à la perche.
Le corps médical admit, au vu les résultats obtenus qu'il n'y avait aucune raison, de l'interdire de voler et Pinceau reprit sa place à l'escadrille.
C'est lui qui m'accueillit lorsque j'arrivais au groupe en 1942. Je fis de nombreux vols avec lui en DC ou en patrouille sur MS.230 ou NAA-57. C'est lui qui m'inculqua l'amour du métier, de la chasse et de la voltige où il excellait. Ses briefings étaient des monuments d'explication, le tout agrémenté de petits dessins sur des boites d'allumettes ou des paquets de cigarettes. Il arrivait à nous faire comprendre toutes les subtilités du règlement de chasse dans ces petits croquis. Je pense qu'il ne fut pas en son temps étranger à mon affectation au groupe et à la 1ère escadrille. Le commandement avait à sa disposition un joli choix de pilotes à l'époque.
Dès le début de notre engagement au Coastal Command, je fus son équipier. J'effectuais ainsi avec lui ma première mission de guerre "décollage sur alerte". Nous étions en alerte en bout de piste à TAFARAOUI, ficelés, dans nos avions, attendant la fusée rouge.
Je dis "ficelés et brêlés", en fait moi, je l'étais conformément au règlement mais lui, Pinceau, était la plupart du temps assis sur le plan, la position alerte lui étant incompatible. Il est vrai que rester 2 heures attaché, ficelé sur son parachute, en fait sur le dinghy, n'était pas confortable.

Pinceau avait un truc. La fusée rouge tant attendue montait dans le ciel, son éclatement n'était pas terminé que l'hélice de Pinceau tournait déjà et que son avion commençait à rouler. 1 minute 20 après, il était en l'air alors que nous avions 3 mn pour le faire.
Dès le décollage, je voyais Pinceau se démener dans son cockpit il avait quelques difficultés à ajuster sa mae-west sur son parachute. A 3000 pieds, tout était rentré dans l'ordre. Il nous fut donné comme ordre « cap 360 Angel Twenty ». Je collais à mon CP tout en scrutant le ciel du mieux que je pouvais. Arrivés à l'altitude ordonnée, le radar nous demanda de continuer au même cap. Je commençais à penser que l'alerte était sérieuse et que peut être la chance nous souriait. Ce qui m'inquiétait un peu, c'était l'oxygène. Nous avions bien nos masques inhalateurs sur le visage, mais le commandement, afin de ne pas retarder notre mise opérationnelle n'avait pas déclaré que nos avions n'étaient pas équipés en oxygène.

En fait, notre mission principale se déroulait souvent dans une tranche d'altitude qui ne demandait pas l'usage de l'inhalateur, donc de l'oxygène. Pinceau, respectant le silence radio, me fit comprendre par gestes que lui aussi n'en était pas pourvu, chose que je savais d'ailleurs.
Arrivés vers 22 ou 23 000 pieds, l'organisme de contrôle Broadshow, nous fit faire demi-tour et retour au terrain, le bogey ayant été identifié, un avion sans IFF. Notre retour au terrain s'effectua à grande vitesse, je venais d'effectuer ma première mission de guerre et dans quelles conditions !
Le truc de Pinceau fut découvert, un jour par le chef, le capitaine Marin la Meslée. A l'escadrille, on continuait à respecter les traditions de la Bataille de France, où chaque pilote avait son avion affecté. L'effectif pilote était légèrement supérieur à la dotation d'avions. 13 pilotes pour 12 avions, dont 10 de disponibles en moyenne. Seuls les commandants d'escadrille et les CP avaient un avion affecté. Équipier puis équipier- confirmé, nous étions 2 ou 3 à voler sur le même avion. Cette méthode fut appliquée tant que le rapport pilotes/avions fut possible. Par la suite, seuls les commandants d'escadrilles et CP eurent leurs avions. Un jour, l'avion du chef fut en panne. La mécanique lui proposa celui de Penzini qui était disponible.
Après une installation quelque peu laborieuse, le chef ne put mettre l'avion en route. Penzini fut convoqué sur-le-champ et l'explication sur l'aire d'alerte fut chaude. Pinceau eut quelques heures pour effectuer la remise en état opérationnel normal de sa mécanique. Le chef n'avait pas apprécié les transformations, malgré sa démonstration de virtuosité.
Pinceau avait fait enlever la plaque de blindage située derrière la tête du pilote. Si cela augmentait la visibilité vers l'arrière, ça diminuait singulièrement la sécurité. Il avait fait modifier le système de bretelles pilote. Le système de démarrage était une merveille. Ne voulant pas rester des heures ficelé sur son siège, Pinceau avait trouvé une astuce pour démarrer le moteur alors qu'il était hors de l'avion. Le système était très simple ; une ficelle et une cale en bois. Dès la prise d'alerte, l'avion était conditionné, tous les contacts nécessaires étaient mis sur "ON", sauf le contact batterie. De celui-ci partait une ficelle qui faisait le tour supérieur de l'arceau pilote et pendait à l'extérieur de l'avion tout près de lui.

Dès l'alerte, Pinceau tirait sur la ficelle, le contact batterie se mettait sous tension, ainsi que tous les instruments y compris le démarreur. Le P-39 était muni d'un démarreur électrique que l'on lançait grâce à une pédale située sur le plancher, côté droit du poste de pilotage.
Cette pédale avait deux positions «énergie» et «engagé». La position « énergie » consistait à lancer électriquement le démarreur, la position «engagé» à l'enclencher. Le système «Penzini » avec sa petite cale en bois, pré-placée, bloquait la pédale sur « énergie ». De cette façon, dès le contact batterie, le démarreur était lancé. Le temps pour Pinceau de sauter dans l'avion, de tirer sur la ficelle pour dégager la cale et engager le démarreur lui prenait tout juste 20 secondes.
Il n'a jamais manqué un seul départ.

Il avait d'autres petites astuces, ses armes étaient réglées pour converger à 250m, malgré la présence d'un canon de 37 mm. Il est vrai que celui-ci avait une trajectoire très tendue mais très courte : 300 m environ, après elle fléchissait très nettement vers le bas, interdisant ainsi tout tir de loin (sic). Il y avait aussi un cendrier provenant de quelque wagon de la SNCF.
Et j'en passe...
Tout fut remis en ordre, mais cela ne dura pas. Rapidement Pinceau réinstalla son système de démarrage. Marin, bon garçon, fit semblant de ne plus voir, mais c'est surtout la « mécanique » qui ne rendit plus l'avion de Pinceau disponible.
Tous les pilotes du groupe, en plus de l'indicatif groupe, augmenté d'un chiffre, suivant notre grade et l'escadrille à laquelle on appartenait, avaient un indicatif radio personnel. Mon indicatif était au départ "Berti", vite transformé en "Titi" qui était mon surnom et qui m'est resté. L'indicatif du groupe était à cette époque "Gangster". Pourquoi cette entorse qui datait de la Bataille de France. L'indicatif groupe suivi d'un chiffre était très impersonnel, il était employé au niveau opération et ordres, rarement en vol. En vol, c'était la couleur de patrouille : "Gangsters, jaune, bleu, vert"... mais pour désigner un pilote, c'était l'indicatif personnel qui était le plus employé. Dans un dispositif on savait qu'il y avait Museau (Muselli), Marina (Marin la Meslée) ou Rebecca (de Fouquières) ; il était difficile de savoir et de se rappeler l'indicatif chiffré de chacun. En 1939/40, tous les officiers pilotes avaient une terminaison en "a", les sous officiers en "o.
D'où PENZINI ( sergent-chef à l'époque ) : nom de code : PINCEAU !

DC : double commande
CP : chef de patrouille
IFF : identification friend and foe